A propos de la gouvernance
Christian Mahieu (le 23 janvier 2016 sur Facebook) :
"L’expérience en cour à Lille
En fait, il me semble que, dans le contexte lillois, nous en sommes à une assemblée de préfiguration de ce que pourrait être une assemblée des communs. Et, c’est bien normal au vu de la nouveauté des communs construits et de la réalité des communautés supposées correspondre à ces communs. Il serait intéressant que les autres tentatives de construction d’Assemblée des communs dans d’autres contextes régionaux fassent part de leurs expériences à ce sujet.
En l’état actuel du développement de ces assemblées, on peut penser qu’il s’agit plutôt d’un groupe projet, certes composée d’innovateurs constructeurs de communs, mais principalement et, peut-être transitoirement, dans une posture de techniciens en développement de projets et d’outils d’accompagnement de ce que pourrait être une assemblée des communs.
Sur base d’un compromis politique assez flou et mal défini, les premières tâches entreprises sont essentiellement tournées vers la conception d’une infrastructure technique de la part de personnes maitrisant les technologies web open source.
La question du cadre politique et de son infrastructure de gouvernance démocratique n’est pas encore véritablement posée, dans les termes d’une assemblée constituante.
Les outils présentés comme initiant un début de construction de modalités de gouvernance sont davantage des outils de gestion de projet. C’est le cas de l’outil Loomio, ou autre Wekan. Ils sont davantage des outils de conception, ou d’aide à la résolution de problèmes de conception, que des supports d’une délibération démocratique qui n’est pas encore vraiment problématisée en tant que telle.
Une gouvernance qui garantisse la libre expression de tous, la délibération et la décision démocratique ne peut se réduire à un assemblage d’outils, de plus s’interfaçant quasiment automatiquement. Le fait que ces outils soient développés en licence libre ne change rien à l’affaire. Une gouvernance démocratique ne peut se dispenser de la délibération au sein d’une communauté dont la composition doit être réfléchie et légitimée, et de dispositifs de délibération qui permettent le travail d’argumentation et de décision, éventuellement en différé et en assemblée virtuelle dans certains cas, mais aussi, de façon indispensable, en direct. Cette possible confusion entre outils de conception de projet et outils de délibération démocratique entraine des ambiguïtés dans le développement des plateformes censées être des supports à la « publicité » et au développement des assemblées des communs. Elle risque de faire passer les considérations techniques avant les besoins de conception des modalités de délibération et décision démocratiques. Ces modalités passent par la définition d’un cadre et d’une ligne éditoriale qui garantisse le sens d’une gouvernance qui ne se réduise pas à un pilotage technique aux mains de spécialistes aussi bien intentionnés soient-ils. Dans un tel cadre les questions qu’une gouvernance réellement démocratique oblige à se poser portent davantage sur les conditions de la participation des communs à l’Assemblée, pour quelle délibération démocratique : quels communs sont-ils représentés, par qui et au terme de quelle discussion interne aux communs, par quels dispositifs délibératifs, argumentatifs, décisionnels, la gouvernance s’exerce-t-elle ?
Une discussion nationale sur ces questions serait intéressante. Le 7ème Forum des Usages Coopératifs, à Brest, en juillet pourrait en fournir l’opportunité. D’ici là poursuivons et enrichissons nos expérimentations en la matière."
- Christian Mahieu (le 31 décembre 2015 sur Facebook)
"Encommuns.org ; encommun.org, http://nord.tiers-lieux.org; plateforme pour l’assemblée des communs ? Prolifération, redondance des plateformes collaboratives, mais surtout quand la division du travail collaboratif rencontre les questions de la démocratie… Soyons vigilants….
Les plateformes prolifèrent, vantant les bienfaits démocratiques de la collaboration, affichant des ambitions de convergence de l’action collective, se voulant les supports du mouvement de fédération… Mais, en fait, il nous faut être vigilant.
N’y a-t-il pas un risque de clivage entre ceux qui ont la capacité de créer de telles plateformes et ceux que les plateformes ont la prétention de fédérer ? Certes, ceux qui ont cette capacité se la sont créée au prix d’un effort souvent personnel pour lequel ils (elles) n’ont pas été spécialement aidés(e)s. Il faudrait cependant regarder comment cette capacité n’a pu s’opérer que sur la base d’autres, des compétences résultant d’un parcours universitaire notamment, dont on sait qu’elles sont le résultant de processus inégalitaires de socialisation socio professionnelle.
Mais, il n’en demeure pas moins qu’il en résulte une inégalité de capacité de construction de plateforme et que cette inégalité est un rapport de pouvoir. Cette inégalité de capacité s’inscrit dans une division du travail de collaboration que le succès du travail collaboratif rend de plus en plus urgent d’analyser. A défaut d’une telle analyse nous pourrions nous retrouver face à de nouvelles inégalités qui se superposeraient à celles déjà existantes et qui pourraient se traduire en de nouvelles injustices que nous aurions à affronter.
Qui construit unilatéralement une plateforme collaborative décide, de fait, de ce qui peut s’afficher sur la plateforme, en définit les orientations. N’oublions pas que toute plateforme est un media et que, de ce fait, un media incorpore une responsabilité éditoriale qui, si elle n’est pas définie démocratiquement ne reflète que l’avis de celui qui l’émet.
Une plateforme qui se présente comme « collaborative » ne porte pas en elle-même des principes démocratiques ; tout dépend de la façon dont elle est créée, « éditorialisée » et supervisée dans son développement.
La prolifération des plateformes collaboratives ne fait pas courir au mouvement de fédération des communs que le seul risque de la redondance et de la perte d’efficacité. Elle fait aussi courir le risque d’un déni de démocratie.
C’est ici que la liberté revendiquée vient mourir dans les eaux froides du calcul égoïste. La liberté revendiquée confine alors au libéralisme et moins à l’idéal démocratique. Un tel idéal n’est pas induit automatiquement par une approche « en communs ». Il a besoin d’être réfléchi et construit en tant que tel. Ça passe par une conception démocratique de nos plateformes collaboratives.
Une construction dans l’action de l’assemblée des communs a besoin de se doter de principes et d’une pratique démocratique sinon elle risque de se réduire au jeu libéral de la compétition entre des plateformes qui n’auront de collaboratif que le nom."