Une matrice de gouvernance basée sur la confiance
Réflexions en forme de réponse à ces deux contributions :
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"Prolifération, redondance, vigilance, risque, clivage, inégalités, division, déni, mourir, calcul égoïste, compétition, compromis, confusion, ambiguïtés, risque, oblige,..."
Voilà un résumé, non exhaustif sans doute, du champ sémantique de tes deux interventions Christian. En te relisant avec attention, il me semble que nous avons donc un objectif commun, mais que nous n'avons pas les mêmes mots pour le dire.
Je pense que l'émergence des assemblées des communs est une formidable opportunité de sortir du pessimisme, et qu'il est précisément de leur ressort d'explorer le continuum très riche qui s'ouvre désormais entre un égalitarisme imposé de l'extérieur et un libéralisme imposé de l'intérieur.
Le terme d'assemblée est d'ailleurs sans doute trompeur, car il vient chercher dans notre imaginaire un demi-cercle d'hommes en cravates, "sérieux", qui prennent des décisions sages pour le reste du peuple. A contrario, la réalité de la préfiguration que nous sommes en train d'expérimenter à Lille, c'est pour le moment un groupe informel de femmes et d'hommes d'horizons très différents qui ont un même élan productif, celui de créer l'assemblée.
Seulement tout reste à faire. Et l'on peut interroger chacune des étapes de construction :
- Les objectifs
Pour le moment, nous nous basons de manière informelle sur un ensemble d'objectifs définis sur le wiki de la P2P Foundation : répertorier, faire connaître, protéger et inscrire les communs dans le tissu sociétal. Il me semble important d'interroger ces objectifs, et de nous les approprier. Chacun d'entre-nous a sa vision propre de ce que doit être l'assemblée des communs, et ce n'est qu'en partageant ces visions que nous pourrons vérifier si nos objectifs sont réellement les mêmes, et s'il ne le sont pas, discuter de l'éventuel "comment" les rendre compatibles entre eux. Il me semble important de tenir compte de cette réalité : du militant politique à l'universitaire, en passant par l'amateur éclairé, l'informaticien engagé et les personnes qui incarnent physiquement les communs sur le territoire, il y a probablement un monde qu'il ne sera pas simple de réduire, si tant est que cela soit possible...
- La gouvernance
En l'état actuel, il semble que le groupe lillois fonctionne sur le principe d'une espèce de stigmergie un peu bancale (entre autre parce que peu documentée). Il est évident, à mon sens, que la future assemblée ne peut pas fonctionner uniquement sur ce mode un peu trop novateur pour avoir prouvé son efficacité aux yeux du plus grand nombre. Néanmoins, je pense qu'il est primordial de sortir de la vision d'un cadre juridique égalitariste basé sur la défiance envers un individu supposément égoïste pour entrer dans la création d'une matrice de gouvernance qui puise sa force dans la confiance en un individu spontanément contributif. C'est pour moi tout l'esprit des communs et du pair à pair, et ce qui en fait une perspective d'avenir optimiste. De mon point de vue, les assemblées sont censées ouvrir la voie d'une nouvelle façon de fonctionner, où le management par des "sachants" censé apporter et garantir un schéma directeur est remplacé par une animation de "bienveilleurs" dont le rôle est de favoriser le fonctionnement du groupe sans préjuger du résultat de son travail. Ce n'est donc pas seulement des instruments de gouvernance qu'il faut produire, mais avant tout une charte sociale qui mettrait la confiance et le respect au coeur du processus.
- Les outils
En l'état actuel, il est vrai que les personnes qui ont spontanément mis en place des outils ont fait un choix politique qui est loin d'être anodin. Le wiki est ouvert à tous, ce qui implique implicitement que son éditorialisation est une affaire collective, basée sur un modèle encore plus ouvert que celui de Wikipedia pour le moment. Il me semble qu'interroger cet état de fait est parfaitement légitime, et qu'une fois la charte sociale et le mode de gouvernance établis, nous pourrons réinterroger tous ensemble la pertinence de ce choix, pour le confirmer ou l'infirmer. De manière plus générale, notre rapport à l'outil informatique étant très disparate, il faut effectivement veiller à ce que le fonctionnement de l'assemblée ne soit pas entièrement fondé sur le virtuel, d'où l'intérêt de réunions locales régulières.
- La mutualisation à l'échelle
Effectivement, comme toi, il me paraît évident que la mutualisation des expériences et des réflexions au niveau national voire francophone sera productive. Et l'on peut là aussi interroger la forme : il est possible que les assemblées s'inspirent de la synergie d'auto-gestions locales qui a été mise en oeuvre lors du festival "Le temps des communs", et qu'aucune instance "garante d'une ligne commune" ne voit jamais le jour... Le wiki étant actuellement un outil centralisé qui offre l'opportunité à chaque assemblée de gérer ses contenus locaux, la question de la gouvernance et d'une charte sociale communes aux différentes assemblées pour les outils communs peut néanmoins se poser.
- Le mode de fonctionnement
Il me semble que pour favoriser la confiance et le fonctionnement de pair à pair, il faut d'abord apprendre à se connaître, à communiquer, pour lever d'éventuels malentendus provenant du fait que nous ne nous connaissons pas. Les habitués du travail en ligne ont effectivement avancé assez vite. Il nous faut trouver l'équilibre entre les sessions physiques et les contributions en ligne. C'est dans cet esprit que j'ai proposé un tour de table lors de notre prochaine rencontre. C'est en ce sens également que je propose de documenter le plus possible les actions de chacun, de manière à pouvoir suivre ce que font les autres. Ce sont des pratiques de transparence qui sont intégrées depuis longtemps pour certains, et totalement novatrices pour d'autres. Il me paraît donc important d’œuvrer à faire cohabiter tout ce petit monde en essayant du mieux possible de lâcher prise sur des a priori organisationnels ou politiques avec un objectif ambitieux : préserver, mettre en valeur et canaliser les élans contributifs individuels pour co-créer une structure sociale novatrice et émancipatrice.
Je te rejoins donc sur l'objectif d'organiser dans un temps raisonnable une assemblée constituante qui s'engagerait à étudier tous ces aspects.
Maïa Dereva